dimanche 12 septembre 2010

1/125ème de seconde

1/125ème de seconde

D’innombrables visites sur Internet et la lecture de magazines spécialisés pour choisir son appareil photographique : six mois. Travailler à temps plein pour s’offrir le précieux objet : trois semaines. Se rendre chez le photographe, à moins qu’il ne s’agisse seulement d’un vendeur de matériel : une demi heure. Trouver un parking : dix minutes. Choisir et acheter l’appareil et ses accessoires : vingt minutes. Rentrer chez soi : trois quart d’heure (à cause des files).
Déballer le tout sur la table du living et se plonger dans le manuel : une heure trente. Ranger le tout parce que c’est l’heure du souper : trois minutes. Se plonger à nouveau dans le mode d’emploi : deux heures dix huit minutes (pas plus parce qu’il faut travailler demain). Charger les batteries : douze heures.
Rêver aux photos qu’on fera le week-end prochain : une nuit. Zut j’ai oublié d’acheter un film : quarante cinq minutes. Charger l’appareil : deux minutes. Viser pour la première fois avec un appareil en ordre de marche : quatorze secondes. Faire semblant de déclencher : une seconde. Ranger l’appareil dans le nouveau fourre-tout : deux minutes.
Mettre les bagages dans la voiture : cinq minutes. Attendre que tout le monde ait enfin embarqué : sept minutes. Rouler jusqu’à la mer : deux heures cinquante trois (en comptant un arrêt pipi). Trouver un parking : douze minutes. Descendre sur la plage et marcher vers les vagues et le soleil couchant : quatre minutes. Sortir l’appareil de son sac : vingt-trois secondes. Le lever à hauteur des yeux : une seconde. Viser l’horizon et cadrer : sept secondes. Zoomer, dézoomer, rezoomer : dix-huit secondes. Diaphragmer : une seconde.

Déclencher et voir l’image disparaître un instant : 1/125ème de seconde.

Cligner des yeux : un quart de seconde. Sourire béatement à la pensée de ce premier cliché : deux minutes. Continuer le week-end à la mer, prendre d’autres photos et rentrer à la maison : deux jours. Décharger le film : trente secondes. Attendre lundi encore et l’ouverture des magasins : treize heures. Aller faire développer son film : quarante cinq minutes. Attendre : quatorze heures. Aller chercher les photos développées : vingt minutes. Ne pas attendre d’être sorti de la boutique pour les entrevoir : quatre minutes. Penser qu’il aurait peut-être fallu les tirer en double : trente secondes. Serrer dans sa poche le précieux paquet, et juste contre la hanche, la précieuse première photo qui nous tient chaud : une minute. Rentrer et montrer ses photos : trente huit minutes. Envie d’agrandir cette photo là, précisément, pour l’afficher dans le salon : trois minutes. Ecarter les photos floues : deux minutes. Et celles où je fais vraiment une grimace, et les autres où on ne voit que tes kilos en trop (ou l’inverse) : trente-sept secondes.

Penser déjà à la prochaine fois, à mieux, autre chose, et ailleurs : quelques années.
Tenir enfin la technique pour ce qu’elle est et ne plus penser qu’aux images, autrement ; oser exposer et s’exposer ; et si souvent, ne pas photographier pour simplement regarder : toute une vie.

Charles LEMAIRE

(Texte pour la publication à l'occasion du cinquantenaire et du déménagement de l'Ecole de Beaux Arts de Wavre / mars 2010)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qui êtes-vous ?

Ma photo
Ex journaliste, informaticien, Ecolo, photographe, belge, bedonnant, grisonnant, polyglotte, passant quotidiennement trop heures derrière mon volant. Vous en voulez encore? Parlons plutôt photographie!